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La vraie histoire du fromage de vache de race Canadienne : un sauvetage in extremis

Dossiers spéciaux

Il s’en est fallu de peu pour qu’on ne puisse jamais goûter le Pied-de-Vent de la fromagerie du même nom ou le 1608 de la Laiterie Charlevoix. Incursion dans l'univers de ces fromages au lait bien particulier.

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La vraie histoire du fromage de vache de race Canadienne : un sauvetage in extremis

Dossiers spéciaux

Il s’en est fallu de peu pour qu’on ne puisse jamais goûter le Pied-de-Vent de la fromagerie du même nom ou le 1608 de la Laiterie Charlevoix. Incursion dans l'univers de ces fromages au lait bien particulier.

La famille Arseneau, établie à Havre-aux-Maisons, aux Îles-de-la-Madeleine, est tombée sous le charme de la Canadienne et de son lait dit « fromageable » au milieu des années 90. Pour bâtir leur troupeau, ces pionniers du fromage de vache de race Canadienne ont toutefois dû sillonner le Québec et se buter à nombre d’embûches, à commencer par la rareté des spécimens. À l’époque, on n’en comptait que quelques centaines, tout au plus, et plusieurs ne pouvaient être considérées comme pur sang (93,75 % et plus de pureté).

Cette race patrimoniale — la plus ancienne vache laitière d’Amérique! — était alors carrément vouée à disparaître à force de croisements avec des Holsteins ou des Jerseys, notamment.

Dominique Arseneau, fils des fondateurs de la Fromagerie Pied-de-Vent désormais à la tête de la ferme familiale Pointe-Basse et de son troupeau de 125 têtes, en sait quelque chose : « On ne pensait pas devoir s’investir autant dans la préservation de la race, mais on a sa valorisation à cœur, raconte l’ex-pêcheur madelinot. On a même appris à faire les inséminations! Peu importe le travail génétique accompli, la Canadienne ne délogera jamais la Holstein ou la Jersey [à titre de vache laitière], mais on veut que les choses évoluent et qu’elle ne soit plus menacée d’extinction. »

« Peu importe le travail génétique accompli, la Canadienne ne délogera jamais la Holstein ou la Jersey [à titre de vache laitière], mais on veut que les choses évoluent et qu’elle ne soit plus menacée d’extinction. » Dominique Arseneau

Une race en voie d’extinction

Mais pourquoi donc ces bovins aux qualités uniques sont-ils passés bien près d’être rayés de la carte en dépit de leur riche histoire? « La vache de race Canadienne a été victime de préjugés », répond le biologiste Mario Duchesne, coordonnateur de l’Association des bovins de race Canadienne, un organisme qui tente d’en rétablir la génétique depuis 15 ans.

Certes, les Canadiennes, des descendantes des races normandes et bretonnes arrivées de ce côté-ci de l’Atlantique au début de la colonie, se sont admirablement bien adaptées aux rigueurs du climat canadien. Leur principal défaut? À quelque 5400 kg de lait par lactation, le rendement de cette petite vache à la robe noire ou brune se trouve bien en deçà de celui de la Holstein et sa moyenne de 9330 kg. Ce n’est pas pour rien que ces dernières ont été adoptées massivement par les entreprises laitières en quête de rentabilité.

« On va dire les vraies choses : si ce n’était de quelques rares producteurs, on ne pourrait même plus parler de la Canadienne aujourd’hui », souligne Mario Duchesne. Malgré son statut de « race animale du patrimoine agricole » décrété en 1999 par l’Assemblée nationale, sa sauvegarde était loin d’être assurée. Il fallait encore trouver le moyen de valoriser la vache et son lait. Comment? Grâce au fromage, bien sûr!

Au fil de plus de 20 années d’existence, la Fromagerie Pied-de-Vent a fait ses preuves avec des fromages de vache de race Canadienne qui goûtent les Îles — le troupeau n’est nourri que de fourrages de son terroir : le Pied-de-Vent, qui n’a plus besoin de présentations, mais aussi la Tomme des Demoiselles, le Jeune-Cœur et le cheddar Art Senau.

Des Îles-de-la-Madeleine à Charlevoix

La famille Labbé, propriétaire de la Laiterie Charlevoix depuis quatre générations, s’est laissé convaincre de se lancer dans l’aventure de la préservation de la Canadienne en créant un fromage hautement distinctif, le 1608. « Plusieurs raisons nous y ont poussés, explique Philippe Labbé, un des arrière-petits-fils des fondateurs. On voyait à long terme : en plus de faire revenir dans la région une agriculture laitière aux dimensions humaines, le lait des Canadiennes offre un meilleur rendement fromager que les laits communément utilisés dans l’industrie et nous permet de fabriquer un fromage très typé. »

C’est un fait : le lait de vache de race Canadienne, dont le taux de matières grasses et de calcium est naturellement plus élevé que d’autres types de lait, produit d’excellents fromages, autant des pâtes fraîches que molles, semi-fermes, fermes ou dures, qui se distinguent entre autres par leur couleur jaune ivoire et leur grande élasticité. Pour répondre aux exigences de l’appellation de spécificité, les bêtes doivent cependant être nourries principalement de fourrages et d’herbes pâturées. Le précieux or blanc doit ensuite être transporté puis entreposé séparément des autres cargaisons pour en préserver l’authenticité, ce qui ajoute une autre couche de complexité à l’opération.

Après quelques années de démarches, le 1608 a enfin vu le jour en 2008, juste à temps pour les fêtes du 400e anniversaire de Québec, à partir du lait du troupeau de la Ferme Hengil, à Saint-Hilarion. Depuis, la Laiterie Charlevoix a aussi élaboré L’Origine de Charlevoix, celui-là à base de lait de Canadienne pasteurisé.

Un travail d’équipe peu commun entre le producteur laitier et le transformateur a été mis en place, témoigne Steve Tremblay, propriétaire de la petite ferme familiale charlevoisienne, très engagé autant dans la sauvegarde de la race que dans la création de l’appellation de spécificité « Fromage de vache de race Canadienne ». « Tout le travail pour valoriser la vache et même améliorer le rendement fromager du lait nous a soudés. »

« On va dire les vraies choses : si ce n’était de quelques rares producteurs, on ne pourrait même plus parler de la Canadienne aujourd’hui » - Mario Duchesne

Les temps changent. Et l’engouement pour les produits d’ici laisse désormais présager un avenir sans nuages pour les quelque 400 vaches de race Canadienne pur sang du Québec. D’autant que la valorisation de leur lait n’en est qu’à ses balbutiements. À preuve, une troisième fromagerie artisanale devrait voir le jour d’ici peu dans Lanaudière, puis une autre dans les environs de Plessisville, annonce Mario Duchesne.

Et ce n’est pas tout. Pour le biologiste, il est déjà grand temps de penser à la suite des choses : « On espère maintenant une appellation de spécificité non seulement pour le fromage, mais pour tous les autres produits faits de lait de vache de race Canadienne. Parce que ce n’est pas vrai qu’elle est bonne seulement pour faire du fromage! »

L'équipe du Conseil des appellations réservées