La petite histoire du cidre de glace commence au tournant des années 90 dans un vignoble de Dunham, dans les Cantons-de-l’Est. C’est là que le vigneron-cidriculteur autodidacte Christian Barthomeuf met au point la recette d’un cidre liquoreux élaboré grâce au froid mordant de janvier. Bref, un cidre typiquement québécois!
Inspirée de la méthode de vinification des vins de glace, sa technique séduit un autre passionné d’agriculture : François Pouliot. « Au départ, j’avais acheté une terre pour faire du vin », raconte l’ancien producteur de cinéma. Ce projet ne verra toutefois jamais le jour. Afin de tirer profit du vieux verger qui entoure la maison ancestrale de son domaine de Hemmingford, en Montérégie, François Pouliot fait appel à Christian Barthomeuf. Objectif? Tenter une première cuvée de cidre de glace à partir de la récolte de pommes gelées de 1994. « Le résultat a été tellement concluant que je n’ai finalement jamais planté de vignes », rigole-t-il.
Dès 1998, la cidrerie La Face Cachée de la Pomme (rebaptisée Verger Hemmingford quelque 20 ans plus tard, en 2019) commercialise le tout premier cidre de glace québécois. En parallèle, les deux pionniers collaborent au développement des meilleures techniques de production qui deviendront éventuellement la norme pour tout produit se réclamant de l’IGP « Cidre de glace du Québec ».
Des exigences précises
François Pouliot a été aux premières loges de la création de l’IGP, en 2014. « Quand j’ai commencé, au milieu des années 90, il n’y avait rien pour encadrer la production de cidre de glace au Québec, rappelle-t-il. C’est pourquoi j’ai insisté, entre autres auprès du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, pour qu’on protège ce joyau unique issu de notre terroir. »
« Il était temps qu’on mette des balises pour déterminer comment on fait un bon cidre de glace à partir du savoir-faire d’ici »
Le vigneron et cidriculteur Jean-Pierre Potelle a aussi participé au processus d’homologation de l’IGP. Il produit depuis une dizaine d’années trois cuvées de cidre de glace arborant l’étiquette du Domaine Cartier-Potelle, à Rougemont, où il cultive 14 000 pommiers et 20 000 plants de vigne. « Il était temps qu’on mette des balises pour déterminer comment on fait un bon cidre de glace à partir du savoir-faire d’ici », dit celui qui a reçu de nombreux prix pour ses créations.
Souvent imité mais jamais égalé, le cidre de glace du Québec se distingue en recourant obligatoirement à l’action du froid naturel pour concentrer les sucres. Pas question de faire geler les pommes artificiellement ou d’ajouter du sucre, comme c’est le cas ailleurs dans le monde où le climat est moins propice à la fabrication de cidre de glace. L’image de vergers enneigés et de pommiers remplis de fruits gelés nous vient en tête, mais il faut savoir que cette méthode aux accents bucoliques – la cryoextraction – ne concerne que de 5 à 10 % de la production québécoise. Tout le reste se fait par cryoconcentration, technique selon laquelle le moût de pomme (tiré de pommes pressées obligatoirement entre le 1er décembre et le 1er mars) est laissé à l’extérieur quand le mercure chute sous les -20 °C.
Autre exigence : les produits portant l’IGP « Cidre de glace du Québec » sont exclusivement fabriqués avec des pommes tardives locales comme la McIntosh, l’Empire ou la Cortland, une variété qui a d’ailleurs permis au Domaine Cartier-Potelle de remporter deux médailles d’or aux Vinalies internationales de Paris grâce à son cidre de glace justement nommé Le Cortland.
De son côté, François Pouliot expérimente présentement avec des cultivars moins connus ici, mais « qui donnent des notes très exotiques », comme la Fuji et la Honeygold. « On rassemble toutes nos meilleures techniques dans un seul et même produit. »
En bouche, le cidre de glace québécois est à la fois « gourmand et réconfortant », analyse la mixologue Claudia Doyon, qui l’utilise régulièrement dans ses cocktails. « J’aime beaucoup travailler avec les produits qui racontent une histoire, surtout quand c’est la nôtre », dit-elle. Avec ses notes de caramel, de miel et de pomme confite, il remplace même avantageusement le porto, fait-elle valoir.
« J’aime beaucoup travailler avec les produits qui racontent une histoire, surtout quand c’est la nôtre »
Si la réputation du cidre de glace du Québec n’est plus à faire chez nous, Jean-Pierre Potelle espère maintenant attirer davantage d’artisans dans le giron de l’IGP. Pour l’heure, seules huit cidreries détiennent la certification, gage de qualité. « Ça ne veut pas dire que les cidres de glace non certifiés ne sont pas bons, mais il n’y a aucune vérification externe », explique François Pouliot.
Ce dernier milite aussi pour une plus grande adhésion, par exemple en réservant l’appellation « Cidre de glace du Québec » aux produits certifiés IGP. Les autres devraient s’afficher comme des cidres liquoreux, estime-t-il, de la même manière que tous les vins blancs mousseux ne sont pas des champagnes. « C’est ma prochaine bataille. »