En quoi consistent les appellations réservées et les termes valorisants?
Ce sont des reconnaissances officielles qui garantissent l’authenticité de produits bioalimentaires. On en connaît déjà plusieurs à travers le monde, comme le vin de Bordeaux ou le sel de Guérande. L’appellation (ou le « label » comme on dit en France) sert à distinguer le travail et le savoir-faire des producteurs. Chaque appellation est vraiment unique et on est chanceux au Québec d’avoir les nôtres!
Que voulez-vous dire par l’authenticité d’un produit bioalimentaire?
Un produit authentique est un produit qui est vraiment ce qu’il dit qu’il est. Ce qui est inscrit sur l’étiquette correspond au produit parce qu’on l’a vérifié rigoureusement. C’est aussi le reflet de notre identité, de ce qu’on est vraiment. Le rôle du CARTV est d’être le gardien de cette authenticité.
« Chaque appellation est vraiment unique et on est chanceux au Québec d’avoir les nôtres ! »
Quels sont les appellations réservées et termes valorisants qui existent actuellement au Québec ?
Pour le moment, sept appellations sont reconnues au Québec, dont cinq sont des indications géographiques protégées (IGP) : IGP Agneau de Charlevoix, IGP Cidre de glace du Québec, IGP Vin de glace du Québec, IGP Vin du Québec et IGP Maïs sucré de Neuville. Nous avons aussi l’appellation de spécificité (AS) Fromage de vache de race Canadienne et une appellation de mode de production : le Biologique. Un premier terme valorisant a récemment vu le jour : Fromage fermier.
Quelle est la différence entre l’indication géographique protégée, l’appellation de spécificité et le terme valorisant?
L’IGP protège un produit issu d’un terroir, c’est-à-dire issu d’un lieu et d’une culture spécifique. L’appellation de mode de production Biologique et l’appellation de spécificité Fromage de vache de race Canadienne valorisent d’autres aspects que l’origine géographique. Pour le Biologique, c’est tout le chemin de production qui est valorisé, alors que l’appellation de spécificité met plutôt en valeur une caractéristique en particulier. Dans le cas du Fromage de vache de race Canadienne, c’est que pour le fabriquer, on utilise uniquement du lait de vache de race Canadienne, la plus ancienne race laitière d’Amérique. Un terme valorisant identifie aussi une caractéristique, mais plutôt en lien avec une façon de faire recherchée par le consommateur.
Comment, en tant que consommateur, puis-je m’assurer que l’agneau que j’achète vient bel et bien de Charlevoix ou que les légumes de ma fermière de famille sont bien biologiques?
Il faut repérer le logo ou la mention écrite de l’appellation sur l’emballage. On peut avoir ainsi l’assurance qu’il y a une traçabilité derrière ces produits d’exception. En suivant un cahier des charges strict et un plan de contrôle, les producteurs acceptent de s’engager dans une démarche exigeante. En cas de doute ou de plainte, nos inspecteurs effectuent des contrôles sur le terrain. Grâce au processus de certification et à la surveillance, nous sommes capables de vérifier l’authenticité du produit, et le producteur peut en faire la démonstration en fournissant les preuves. Derrière chaque appellation, il y a beaucoup de travail de la part du producteur qui veut être fier et redevable au consommateur.
Pourquoi ne pas simplement avoir une marque de commerce?
Les appellations réservées sont à mon sens la meilleure façon de mettre des visages et des villages sur nos produits et nos savoir-faire. Elles apportent une dimension intéressante à la protection de produits parce qu’elles rassemblent plusieurs entrepreneurs autour d’un processus très rigoureux. Il y a aussi un lien émotionnel entre le produit, l’artisan et le consommateur. Des gens se mettent ensemble pour travailler un produit, pour le créer, le développer et lui donner ses contours. C’est une démarche collective qui permet d’avoir une réflexion sur le plan culturel, culinaire et territorial, car il y a une volonté de créer des retombées positives pour l’ensemble d’une collectivité.
On peut prendre l’exemple des vins du Québec, qui ont créé des paysages uniques et ont des retombées sur le tourisme. C’est comme le Maïs de Neuville, qui ne se vend que localement. Pour le découvrir, les gens se déplacent. Le Biologique façonne également des paysages particuliers : les animaux vont paître dehors, les cultures changent au gré des années avec les rotations… Ça rend le paysage attractif et ça crée des endroits intéressants. Ça va au-delà de l’alimentation, ça rejoint des valeurs qui sont chères aux consommateurs et aux citoyens.
Comment se fait-il que certains produits emblématiques du Québec comme le sirop d’érable ou la crevette nordique n’aient pas leur appellation?
Pour chaque produit, la demande pour avoir une appellation doit venir des producteurs. Ils sont la bougie d’allumage; le CARTV alimente le feu, si on peut dire. Si les producteurs ne le demandent pas, nous ne pouvons pas le faire à leur place. Lorsque nous recevons une demande, nous la soumettons à un comité d’experts qui va aider à raffiner le projet. Une fois que le dossier est recommandé par le comité, le CARTV peut le soumettre au ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, qui décide en dernière instance si l’appellation réservée ou le terme valorisant est officiellement reconnu et protégé.
Comment envisagez-vous l’évolution des appellations?
On sent un intérêt grandissant pour le terme valorisant, qui est le label le plus souple dans la boîte à outils des appellations réservées. Avec le terme valorisant Fromage fermier qui s’en vient, ça donne un exemple concret à d’autres producteurs qu’une appellation n’a pas à être si complexe que ça. Elle doit être bien circonscrite, bien documentée avec des points de contrôle qui précisent par exemple ce qui est permis ou non lors des étapes de transformation pour qu’on puisse assurer une traçabilité. Ça permet d’aller chercher la garantie de plus que recherchent les consommateurs.
Avez-vous des exemples d’autres termes valorisants qui pourraient être mis en place?
Il y en a plusieurs qui permettraient aux consommateurs de mieux s’y retrouver : le terme « Forestier » pour les produits issus des forêts comme les champignons et les plantes sauvages; « Élevé en liberté» pour les œufs ou « Nourri à l’herbe » pour la viande; « Durable » et « Écoresponsable » seraient aussi des pistes intéressantes de termes.
On aimerait initier une réflexion : acheter québécois, oui, mais encore? Qui se trouve derrière le produit ? Quelle est son histoire?
Depuis le début de la pandémie, l’achat local est très populaire. Pourquoi mettre l’accent sur les appellations réservées et les termes valorisants?
Avec la pandémie, la chaîne de distribution a été ébranlée et les gens se sont dit qu’il fallait acheter local. On aimerait initier une réflexion : acheter québécois, oui, mais encore? Qui se trouve derrière le produit ? Quelles particularités de notre territoire, de ses goûts, de notre histoire, de nos savoir-faire et de nos traditions met-il en valeur? L’idée est de mettre ces produits au profit d’une identité plus large qui nous fera rayonner à travers le monde. C’est un projet de société qui implique le territoire, les producteurs, la production, la transformation et les consommateurs. Les appellations sont très significatives. Il est important que tout le monde en saisisse la portée. L’alimentation n’est pas que commerciale, elle est aussi culturelle et identitaire.
Quel bilan faites-vous du chemin parcouru depuis le début des années 2000?
Le chemin est parsemé d’embûches, mais si les appellations n’étaient pas là, il faudrait les inventer. C’est essentiel pour un territoire comme le Québec. Elles répondent à un besoin identitaire ressenti tant par les producteurs, que les transformateurs et les consommateurs. On est plus que jamais fiers de ce qui se fait ici. Les appellations réservées ont fait leurs preuves ailleurs, comme en France ou en Italie. Elles le font et le feront au Québec. Le Biologique est un bon exemple. Ça fait 20 ans que l’appellation existe, mais ça fait 40 ans que le mouvement se construit. On voit aujourd’hui comment ça peut changer le visage de l’agriculture. Ça va être la même chose pour plusieurs autres appellations. Quand je suis arrivée au CARTV en 2017, il n’y avait qu’un produit qui était en processus de demande d’appellation. Aujourd’hui, on sent un regain d’intérêt. Il y a une demi-douzaine de projets sur la table. Certains sont au stade d’idéation et des études d’opportunité sont déjà déposées pour d’autres. Il ne faut pas oublier que les appellations réservées étaient, il y a 15 ans, une idée d’un petit groupe de personnes visionnaires. Nous ne pouvons que souhaiter au Québec de vivre 15 autres années tout aussi ambitieuses pour le développement et la protection de son authenticité !