Vous n’êtes pas fan d’agneau parce que son goût vous rappelle la laine? C’est que vous n’avez jamais dégusté celui de Charlevoix, dont la viande est reconnue pour sa finesse incomparable. « L’agneau de Charlevoix est rose, tendre, juteux, et son goût est délicat, explique Annie Bérubé, de Véritable agneau!. Avec son conjoint, Donald Tremblay, elle élève des agneaux certifiés, et ce, depuis les débuts de l’appellation en 2009. En 2016, ils ont ouvert Le Véritable agneau!, l’unique atelier de transformation de l’indication géographique protégée (IGP) Agneau de Charlevoix, à Saint-Hilarion, situé à mi-chemin entre Baie-Saint-Paul et La Malbaie. Dans la boutique attenante, ouverte sept jours sur sept, on trouve toutes sortes de coupes de cette viande valorisée dans moult produits tous plus appétissants les uns que les autres. Derrière son comptoir, toujours souriante, l’éleveuse ne se lasse pas d’expliquer à la clientèle ce qui fait la particularité de son produit.
Un agneau 100 % charlevoisien
Pour porter le logo de l’IGP Agneau de Charlevoix, la viande doit répondre à une série de critères très stricts qui lui procurent sa qualité si recherchée. « Nous devons respecter toutes les étapes du cahier des charges, autant dans la production que dans la transformation, explique Annie Bérubé. Dès qu’on saute un maillon, on ne peut plus l’appeler Agneau de Charlevoix. » Tout d’abord, l’agneau doit être né et élevé dans la région de Charlevoix, car c’est son adaptation à ce territoire qui lui confère sa spécificité. Élevés à l’intérieur pour limiter le stress dû aux prédateurs et mieux contrôler leur alimentation, les agneaux restent avec leur mère les six à huit premières semaines de leur vie, pendant lesquelles ils sont allaités.
Ensuite, après un sevrage, ils sont nourris de grains et de fourrages également issus de la région et dont les deux tiers sont produits directement sur les terres de l’éleveur. « On donne de l’avoine ou de l’orge. C’est mieux pour la qualité du gras des agneaux, explique Simon Audet, éleveur d’agneaux de Charlevoix aussi installé à Saint-Hilarion. On n’a pas le droit de donner du maïs parce que ça ne se cultive pas vraiment dans Charlevoix. En plus, ça fait grossir la bête plus vite. » Le poids et le taux de gras sont en effet des éléments cruciaux de l’élevage de l’agneau de Charlevoix. Alors que de l’agneau conventionnel peut peser plus de 20 kg et présenter un taux de gras plus ou moins important, celui de Charlevoix doit pointer entre 15 et 20 kg et sa graisse ne doit pas dépasser 12 mm d’épaisseur sur le dos. « Aussitôt qu’on arrive à plus de 20 kg, la couleur de la viande change. Elle devient plus foncée et est plus persillée. Et en dessous de 15 kg, la viande est maigre et ce n’est pas très joli. Ça change tout. Ça fait vraiment une différence », souligne Annie Bérubé, qui s’occupe de transformer l’agneau certifié. Enfin, à la vente, la viande, qui peut être congelée ou fraîche, ne doit contenir aucun assaisonnement.
Une longue histoire
Élevé dans Charlevoix depuis plus de 150 ans, l’agneau est particulièrement bien adapté à ce territoire peu favorable à l’agriculture. Cette région au terrain accidenté, isolée du reste de la province, a imposé aux éleveurs de nourrir leur troupeau avec du fourrage et des céréales locales procurant une croissance modérée de l’agneau. Avec le temps, au fur et à mesure que les savoir-faire des éleveurs se développaient, la viande d’agneau de Charlevoix a gagné en popularité.
C’est pour protéger cette réputation et surtout la qualité de ce produit unique que l’éleveuse d’agneaux Lucie Cadieux s’est battue au début des années 2000 et a mis en œuvre le projet de création d’une IGP pour l’agneau de Charlevoix. Il s’agissait d’une première IGP pour le Québec et l’Amérique du Nord, alors que le système faisait ses preuves en Europe depuis plusieurs années déjà. Pour la première fois, l’outil a permis aux producteurs québécois de valoriser des produits de leur terroir tout en les protégeant contre la fraude. Il aura fallu du temps et de l’engagement de la part des producteurs pour apprivoiser le cadre légal changeant des appellations et arriver à la reconnaissance officielle de l’IGP, en 2009. Le projet a pavé la voie à la création d’appellations réservées pour des produits québécois distinctifs, comme le maïs sucré de Neuville, le cidre de glace du Québec et les vins du Québec.
« Quand on a un produit unique, il faut le défendre. »
Une relève motivée
Les saisons se sont depuis succédé dans Charlevoix, et le nombre de producteurs certifiés a grandement diminué dans un marché en constant changement pour ce produit de niche. Trois acteurs montent aujourd’hui la garde : Donald Tremblay s’occupe de l’élevage et Annie Bérubé est à la tête de l’atelier de transformation. Ils peuvent ainsi transformer leurs agneaux et ceux de l’autre éleveur, Simon Audet, qui a adhéré à la certification en 2017. Ce dernier respectait déjà le cahier des charges dans son élevage et est ainsi allé chercher avec l’IGP une plus-value intéressante sur le prix de vente de sa viande.
« L’agneau de Charlevoix, je le reconnais à l’œil, lance Annie Bérubé. S’il n’y avait pas de différences avec les autres viandes d’agneau, je me poserais des questions. L’IGP offre une belle façon de se démarquer. Quand on a un produit unique, il faut le défendre », croit-elle fermement.
Actuellement, les deux éleveurs et la transformatrice répondent difficilement à la demande, surtout depuis la pandémie. « Les gens aimeraient en voir partout dans les épiceries, mais c’est impossible. Nous ne sommes pas assez de producteurs, indique Annie Bérubé. Certains clients en veulent tellement qu’ils font le voyage de Montréal ou de Fermont. » Pour ceux et celles qui ne peuvent faire le déplacement, l’agneau de Charlevoix est offert depuis 2020 via le distributeur en ligne Maturin.
« On dirait presque de l’agneau de lait. C’est un produit très recherché par les clients »
L’agneau de Charlevoix dans l’assiette
Quelques chefs de Charlevoix se font un honneur de mettre le produit phare de leur région au menu. C’est le cas de Dominique Truchon, du resto Chez Truchon, à La Malbaie, qui est adepte du produit depuis ses débuts. À l’époque, il avait même participé avec d’autres chefs à un test organoleptique pour le comparer à l’agneau conventionnel. « C’est très facile de le reconnaître. C’est une viande très fine, peu grasse. On dirait presque de l’agneau de lait. C’est un produit très recherché par les clients », explique ce Charlevoisien d’origine qui a à cœur de mettre en valeur les beaux produits de son coin de pays. Dans son établissement, l’agneau de Charlevoix est servi en gigot grillé avec un accompagnement qui change deux fois par année.
Pour celles et ceux qui souhaitent le préparer à la maison, Dominique Truchon donne ses conseils. « On peut rehausser des tranches de gigot ou des côtelettes avec une marinade à base d’huile, de fines herbes et d’ail. Un peu de sel et poivre au moment de mettre sur le gril. Il ne faut pas trop les cuire et les servir rosées ou saignantes. C’est délicieux », assure le chef.
Chez Annie Bérubé, l’agneau se déguste encore plus simplement. « Je prends le carré ou des côtelettes que je coupe en morceaux. Je les mets dans un poêlon avec du beurre, du sel et du poivre. Et voilà, le plus simplement possible », dit-elle en ajoutant : « Une bonne épaule braisée, c’est aussi excellent. »