Le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord qui protège les produits alimentaires à l’aide d’un système d’appellations d’origine et de termes valorisants reconnaissant le lien au terroir et la spécificité. Parmi ces produits, on trouve plusieurs indications géographiques protégées (IGP) dont Agneau de Charlevoix, Maïs sucré de Neuville, Vin du Québec, Vin de glace et Cidre de glace du Québec, ainsi qu’une appellation de spécificité (AS) : Fromage de vache de race Canadienne. Bien que le mode de production biologique ne fasse pas référence au terroir ni à l’origine, il est également protégé par la loi étant donné son caractère distinctif. Grâce aux logos qui les identifient et aux cahiers des charges qui les régissent, ces produits garantissent au public qualité et traçabilité.
Mais ils ne sont pas les seuls à mériter une reconnaissance. Alors que le terme valorisant « Fromage fermier » est présentement en analyse, d’autres produits pourraient aussi obtenir une appellation réservée. Parmi eux, l’Acerum du Québec. Contrairement aux alcools aromatisés à l’érable souvent très sucrés, l’Acerum est une eau-de-vie non sucrée obtenue par distillation de l’alcool issu de la fermentation de l’eau d’érable, de concentré d’eau d’érable ou de sirop d’érable du Québec. « L’Acerum révèle les saveurs cachées de l’érable, souligne Jean-François Cloutier, cofondateur de la Distillerie du St. Laurent, à Rimouski. Son profil aromatique général se situe entre le rhum et l’eau-de-vie de fruit, mais nous sommes encore en mode exploratoire. En distillant un nouveau sucre, nous développons un nouveau registre organoleptique, et c’est vraiment excitant! »
Un alcool signature pour le Québec
Bien que le sirop d’érable fasse partie de notre culture depuis très longtemps, très peu d’indices de sa transformation en alcool existent dans l’histoire. De plus, contrairement aux autres alcools, l’ingrédient de base est très coûteux, ce qui peut freiner les élans créatifs des distillateurs.
Quelques distilleries expérimentent déjà la production d’Acerum et souhaitent en faire un produit distinctif de notre territoire. « Au lieu de produire un alcool d’érable spécifique à notre distillerie, nous avons voulu faire un produit au nom générique que toutes les distilleries du Québec pourront utiliser et s’approprier », explique Jean-François Cloutier, qui produit de l’Acerum avec fierté depuis quatre ans.
Les producteurs souhaitent ainsi valoriser ce produit 100% québécois afin que l’Acerum devienne un jour le « whisky du Québec ».
Avec la Distillerie Shefford, en Estrie, et le Domaine Acer, dans le Bas-Saint-Laurent, il a formé l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable. Le regroupement a produit le cahier des charges de l’Acerum du Québec et a soumis une demande d’IGP au Conseil des appellations réservées et des termes valorisants. Les producteurs souhaitent ainsi valoriser ce produit 100% québécois afin que l’Acerum devienne un jour le « whisky du Québec ».
Le homard de la Gaspésie
Plus connu des Québécois, le homard de la Gaspésie pourrait lui aussi porter un jour une IGP. De plus en plus recherché par les consommateurs, le délicieux crustacé se ferait déjà usurper son nom. Le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie, qui représente l’ensemble des pêcheurs de homards de la région, souhaite protéger son produit et le faire reconnaître.
Le regroupement a donc demandé à Rémy Lambert, professeur à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation à l’Université Laval, d’effectuer une étude de faisabilité. « Il y a plusieurs aspects intéressants avec le homard de Gaspésie, explique celui qui a travaillé sur plusieurs IGP déjà reconnues dans la province. Les pêcheurs ont une façon assez unique de préserver la ressource. Ils ont mis en place une écloserie qui permet de réensemencer les homards afin d’assurer le développement de l’espèce. Et il y a aussi tout l’aspect historique de ce produit. Il y a des milliers d’années, les Premières Nations étaient établies au nord de la Gaspésie et avaient déjà une activité de pêche au homard. On a une belle histoire à raconter. »
Ces éléments ont permis à l’expert d’émettre un avis favorable pour déposer une demande d’IGP « Homard de la Gaspésie ». La prochaine étape pour le regroupement de pêcheurs est d’élaborer le cahier des charges. Rémy Lambert a bon espoir que le projet aboutira. « Souvent, les groupes voient l’appellation comme une finalité, mais ce n’est pas le cas. C’est une étape, prévient-il. Les pêcheurs de homard ont une très belle vision de l’avenir pour l’après-appellation. Ils veulent développer le marché et une image de marque. Ils savent quoi faire pour valoriser ce merveilleux outil qu’est l’IGP. »
Des appellations régionales pour les vins?
Et preuve qu’une appellation n’est pas une finalité en soi, l’IGP « Vin du Québec » pourrait un jour évoluer vers des appellations régionales, comme on en trouve en France et en Italie par exemple. « À la création de l’IGP « Vin du Québec », le vignoble québécois était considéré comme un tout uniforme sur un territoire très vaste », note Nadia Fournier, chroniqueuse en vin, auteure et consultante.
En 2018, elle a été mandatée par le Conseil des vins du Québec pour travailler à la délimitation de régions viticoles. Pour y arriver, elle s’est basée sur les données climatiques et géologiques ainsi que le positionnement des rivières afin d’établir des liens avec les vignobles. Finalement, après validation avec un géologue et une agronome, elle a élaboré le profil de sept régions viticoles : Deux-Montagnes, Vallée-du-Richelieu, Piémont appalachien, Versants montérégiens, Plateaux des Appalaches, Lac Saint-Pierre et Québec et les berges du Saint-Laurent.
« Souvent, les groupes voient l’appellation comme une finalité, mais ce n’est pas le cas. C’est une étape. »
Nadia Fournier souhaite affiner ses résultats en allant à la rencontre des vignerons pour obtenir des informations précises et faire ressortir la spécificité de chaque vignoble. « Le but est d’avoir une idée plus précise de l’identité gustative des régions. Mais on est encore en mode exploratoire, car il y a trop de variables, reconnaît-elle. En Bourgogne, par exemple, on compare des crus sur une base de deux cépages, le chardonnay et le pinot noir. Ici, il n’y a pas de restrictions sur l’encépagement. Quand on essaie de définir le terroir d’une région, il peut y avoir une vingtaine de cépages de vitis viniferas différents et une dizaine d’hybrides. Les méthodes viticoles et les rendements changent aussi d’un vignoble à l’autre. »
Selon elle, le temps permettra de déterminer des spécificités, mais il faudra attendre encore quelques années avant de se procurer un vin à d’appellation« Québec et les berges du Saint-Laurent » ou « Plateaux des Appalaches ». « Avec le temps, on va arriver à éliminer certains cépages dans certaines régions, comme le Vandal-cliche dans le sud du Québec qui ne donne pas toujours de très bons résultats, explique-t-elle en précisant que les vignerons d’ici devront continuer de laisser libre cours à leur créativité dans les prochaines années.
« S’il y a bien quelque chose qui nous démarque en plus de notre jeune terroir en création, c'est bien ce caractère innovant et ce courage de repousser les limites »
À ce sujet, Pascale Tremblay, présidente-directrice générale du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants, soutient que le système des appellations réservées doit s’adapter au génie créatif québécois. « Nous croyons que les appellations peuvent aider les producteurs québécois à préserver, à structurer et même à développer leur créativité. S’il y a bien quelque chose qui nous démarque en plus de notre jeune terroir en création, c’est bien ce caractère innovant et ce courage de repousser les limites, confie-t-elle. À notre sens, seul un système solide comme les appellations réservées peut protéger ce caractère unique de façon aussi durable et rassembleuse. »
Les produits de qualité spécifiques à la Belle Province abondent. L’avenir et la volonté de nos artisans nous diront lesquels deviendront les produits emblématiques de notre terroir.