« On produit du champ jusqu’au fromage. On fait le processus au complet », explique Normand Côté, de la Fromagerie Médard de Saint-Gédéon, au Lac-Saint-Jean. Pour l’agriculteur, il était important d’obtenir une appellation afin de protéger et de mettre en valeur le travail des artisans qui, comme lui, produisent du lait et le transforment en fromage au sein de leur ferme-fromagerie. C’est ainsi que, cet automne, « Fromage fermier » deviendra le premier terme valorisant reconnu au Québec.
Traçabilité et qualité
Les fromages fermiers incarnent la passion d’agriculteurs pour leur troupeau, leur terre et la transformation du produit. Ils sont souvent développés par des entreprises familiales qui défendent certaines valeurs et partagent la même vision de l’agriculture. C’est le cas de la fromagerie La Suisse Normande, qui pratique une agriculture durable et raisonnée. Arrivés d’Europe dans les années 80 pour travailler la terre, ses fondateurs, Fabienne Mathieu et Frédéric Guitel, ont débuté avec un élevage de vaches laitières. « En parallèle, mes parents ont décidé d’élever des chèvres au début des années 90. C’était un défi à cette époque, car l’élevage de chèvres n’était pas courant », explique Bénédicte Guitel, qui travaille dans l’entreprise familiale depuis 10 ans. « Toujours dans le respect de leurs valeurs d’autonomie et de qualité, ils ont cherché à valoriser ce lait particulier. C’est là que l’idée de la fromagerie est apparue. »
Depuis son ouverture en 1995, la petite fromagerie a grandi et a même intégré une épicerie rurale à l’hiver 2021. Fabienne et Frédéric passent tranquillement le flambeau à trois de leurs cinq enfants déjà bien investis dans la ferme et la fromagerie – et un quatrième pense rejoindre l’équipe.
Avec près de 350 chèvres laitières de race Saanen et Alpine, la ferme produit 200 000 litres de lait annuellement. Ce dernier est transformé en une quinzaine de fromages de chèvre, dont Le Sabot de Blanchette ou Le Barbu, qui pourraient porter le terme valorisant Fromage fermier.
Même si elle n’élève plus de vaches depuis longtemps, La Suisse Normande fabrique encore des fromages de lait de vache. Ces derniers, en revanche, ne pourront être identifiés comme des fromages fermiers. Car même si le lait de vache de la ferme voisine qui les approvisionne est produit dans des conditions qui correspondent aux valeurs de la fromagerie, le terme valorisant ne s’appliquera qu’aux fromages faits à partir de lait produit par la ferme qui le transforme. Ainsi, le savoir-faire du fermier notamment quant à la qualité du fourrage donné du troupeau – de vaches, de chèvres, de bufflonnes ou de brebis – jouera toujours un rôle important. Les plantes présentes dans les pâturages et les saisons font aussi varier le goût de ces fromages en exprimant la particularité unique de leur terroir. Une notion d’autant plus vraie pour les fromages fermiers fabriqués à partir de lait cru dont la flore naturelle demeure intacte.
Les fromages fermiers incarnent la passion d’agriculteurs pour leur troupeau, leur terre et la transformation du produit. Ils sont souvent développés par des entreprises familiales qui défendent certaines valeurs et partagent la même vision de l’agriculture
Savoir-faire à l’honneur
Le terme Fromage fermier permet aussi de valoriser un savoir-faire fromager. C’est l’Association des fromagers artisans du Québec (AFAQ) qui est à l’origine de ce projet de reconnaissance. Depuis 2015, l’association travaille sur les normes qui encadrent les fromages fermiers. Ces normes ont été entérinées par le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV) à l’hiver 2020 et un projet de règlement a été publié par le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation en mai 2021. La reconnaissance du terme est donc dans son dernier droit et bientôt, espérons-le, la démarche d’une quarantaine de fromageries fermières de la province sera valorisée.
Alors, tous les types de fromage, qu’ils soient frais ou vieillis, à pâte molle ou dure, à croûte fleurie ou lavée, au lait cru, thermisé ou pasteurisé qui respectent les normes du terme valorisant, pourront en bénéficier. Quant à leur fabrication, mis à part les ingrédients usuels de transformation comme la présure ou le sel, l’utilisation de caséine, de produits laitiers de culture, de protéines lactosériques, de substances laitières modifiées tout comme d’OGM est proscrite. De plus, le terme valorisant interdit l’automatisation complète de la production qui standardise le produit. Elle valorise plutôt les techniques fromagères traditionnelles et propres au fromager qui développe un savoir-faire dans le traitement de son lait et de son emprésurage jusque dans les conditions et la durée de l’affinage.
Pour Simon-Pierre Bolduc, fromager à La Station de Compton, en Estrie, le terme valorisant permettra de mettre en lumière la particularité de son travail. « C’est merveilleux de faire du fromage, mais ça l’est encore plus quand l’élevage et le travail dans les champs sont faits dans l’objectif d’obtenir de beaux fromages », souligne celui qui travaille avec ses deux frères dans les terres familiales. Élevant des vaches Holstein, ses parents ont pris le virage biologique en 1995. Dès 1997, Carole Routier, la mère de Simon-Pierre, a commencé à fabriquer des meules de fromage dans sa cuisine. Après sept ans d’essais-erreurs d’affinage dans un vieux frigo, la fromagerie a vu le jour.
« Il y a de petites différences de saveurs entre les saisons. Il faut savoir les apprécier. Ça fait partie de la magie des fromages fermiers! » Simon-Pierre Bolduc
Depuis, La Station propose des fromages biologiques au lait thermisé, comme le Chemin Hatley et le Raclette de Compton, et au lait cru, comme Alfred le Fermier. Ce dernier se décline en deux versions : régulier et grand cru. L’Alfred grand cru est issu d’une sélection des meules d’été produites uniquement avec le lait des vaches qui vont au pâturage. « On l’affine environ 24 mois, mais cela dépend des lots. Certains vont atteindre leur goût optimal à 20 mois et d’autres à 30 mois, précise le fromager. J’ai une préférence pour les fromages fabriqués entre la mi-août et la fin septembre. Ils ont un côté plus fruité, avec des notes de noisette. Il y a de petites différences de saveurs entre les saisons. Il faut savoir les apprécier. Ça fait partie de la magie des fromages fermiers! »