L’époque où on grimaçait en goûtant la piquette québécoise est bel et bien révolue. « La game a changé ! », s’exclame Sébastien Daoust, du vignoble Les Bacchantes, qui en est, en 2021, à sa sixième récolte sur son domaine de Hemmingford, dans le sud-ouest de la Montérégie.
Il aura toutefois fallu des années afin de se défaire des préjugés tenaces qui existaient encore il y a peu, témoigne le fondateur du vignoble du Marathonien, Jean Joly. Trop acides, immatures ou assemblés à partir de moût importé d’Ontario… la critique n’était pas tendre envers les vins du Québec. « Quand je me suis lancé dans le domaine, au début des années 1990, planter des vignes au Québec dans l’espoir de faire du vin demandait autant d’endurance que compléter un marathon, rigole ce pionnier de la viticulture d’ici établi à Havelock. Il fallait aussi un brin de folie. « C’est peu dire : tout était encore à bâtir. Des erreurs, on en a fait. »
C’est dans ce contexte qu’a été créée, en 2009, une marque de certification privée qui a depuis été remplacée par l’IGP Vin du Québec, reconnue par l’État québécois. Les vignerons qui souhaitent obtenir l’IGP pour leurs produits peuvent le faire sur une base volontaire. « On voulait démontrer notre sérieux aux sommeliers et au public », explique l’actuel président du Conseil des vins d’appellation du Québec, Jean Joly. Pour ce faire, il s’est affairé, avec son ami Charles-Henri de Coussergues, du vignoble de l’Orpailleur, à rédiger un cahier des charges des plus précis. Un guide qui détermine l’aire géographique visée et les cépages les mieux adaptés à notre climat, mais aussi les procédés de vinification autorisés et les exigences environnementales et sanitaires, entre autres. Objectif ? Prouver l’authenticité des produits et assurer leur traçabilité, à la manière des AOC (appellation d’origine contrôlée) européennes.
« On voulait démontrer notre sérieux aux sommeliers et au public »
« Ils ont fait un travail colossal, souligne Sébastien Daoust. Pour ceux qui, comme moi, ont un parcours atypique – je suis analyste d’affaires de formation – et qui ont eu la piqûre pour le vin, le cahier des charges est une mine d’or. C’est le guide des bonnes pratiques au Québec pour les débutants. Ça nous permet de faire les suivis correctement sans devoir y aller au pifomètre. »
Avant d’afficher le petit logo noir et blanc de l’IGP Vin du Québec sur leurs bouteilles de blanc, de rouge, de rosé ou de mousseux, les vignerons doivent ainsi rendre des comptes à toutes les étapes de la production, et ce, du champ à la bouteille. Des inspections, une analyse chimique et une évaluation organoleptique, le tout effectué par des professionnels indépendants, permettent d’assurer la conformité du produit. Cela offre au consommateur l’assurance que le vin répond à un certain standard de qualité, tant en termes de salubrité que de goût. Bref, qu’il est sans défaut technique.
La fondatrice du Mas des Patriotes, France Cliche, a elle aussi été convaincue d’emblée de la pertinence de la démarche. « Le vignoble, c’était le rêve de mon mari, mais nous n’avions aucune connaissance en œnologie, seulement une grande passion pour le vin. Je me suis tout de suite lancée dans le processus pour obtenir l’IGP. Ça m’apparaissait une nécessité pour faire valoir notre terroir et les arômes de nos cépages nordiques. »
Elle n’est pas la seule ! À ce jour, plus de 250 produits — provenant d’une trentaine de vignobles — portent le sceau IGP Vin du Québec.
Des vins qui goûtent le Québec
À force d’essais et d’erreurs, les efforts conjugués des pionniers de la vigne québécoise ont fini par porter leurs fruits. « On sait maintenant ce qui marche et ce qui ne marche pas, résume Jean Joly, dont plusieurs cuvées ont remporté des prix au Québec comme à l’étranger. Il ne manque plus grand-chose pour que les Québécois soient conquis et reconnaissent la valeur de nos produits. »
Il va de soi que les vins québécois se distinguent de mille et une manières, à commencer par la flaveur des cépages utilisés. Réputés plus résistants au froid, les cépages hybrides américains et français, comme le vidal, le seyval et le frontenac, dominent. « Il faut arrêter de comparer les hybrides aux vitis vinifera, martèle le vigneron de 70 ans. Un seyval, c’est un seyval, même s’il peut avoir des notes qui ressemblent au sauvignon blanc. Notre défi, c’est de les faire connaître pour ce qu’ils sont [et pour ce qu’ils goûtent: le Québec]. »
« Il reste beaucoup d’éducation à faire, autant à propos de l’IGP que de nos cépages », renchérit France Cliche. Installée dans un quartier historique de Saint-Jean-sur-Richelieu – ses terres abritent d’ailleurs une grange patrimoniale soigneusement restaurée –, la vigneronne s’emploie à « créer des vins uniques, à l’image de notre terroir nordique ». Un terroir de plus en plus propice à la culture de la vigne, constate-t-elle par ailleurs. La saison 2021 aura d’ailleurs été si chaude que les vendanges ont pu avoir lieu vers la mi-septembre, avec au moins 10 jours d’avance sur le calendrier habituel.
Pas de doute : en été, les changements climatiques profitent aux vignobles québécois, d’une certaine manière, notamment en accélérant le mûrissement des fruits, si bien que certains rêvent désormais de rouges plus costauds pouvant rivaliser avec ceux de la vallée de l’Okanagan, voire du Vieux Continent.
« Notre défi, c’est de les faire connaître pour ce qu’ils sont [et pour ce qu’ils goûtent: le Québec]. »
Autant au vignoble du Marathonien qu’au Mas des Patriotes ou aux Bacchantes, les vitis vinifera, ces cépages dits « nobles » comme le chardonnay, le pinot ou même le merlot, sont de plus en plus présents. Notre terroir leur confère néanmoins des notes distinctives qui permettent aux vins d’ici, encore une fois, de sortir du lot, souligne France Cliche.
« Aujourd’hui, on n’a plus rien à envier à personne, affirme la vigneronne, récemment médaillée d’or au All Canadian Wine Championships (ACWC) pour son chardonnay 2020 aux notes typiquement québécoises. Le Québec produit des vins de qualité internationale, et on surprend des sommeliers de partout dans le monde, chose impensable il y a quelques dizaines d’années à peine. »
La jeune industrie viticole québécoise n’a assurément pas fini de surprendre les œnophiles d’ici et d’ailleurs.
Levons donc notre verre à l’IGP Vin du Québec!