Les origines du vin de glace remontent à 1794, en Allemagne. Précisément 200 ans plus tard, en 1994, Jean Joly, fondateur du Vignoble du Marathonien et pionnier du vin québécois, tentait pour la première fois l’expérience sur ses terres de Havelock, en Montérégie. « Personne ne faisait de vin de glace ici, alors on s’est dit qu’on allait s’essayer », raconte le vigneron, qui avait planté dès 1989 une parcelle de raisins vidal avec cet objectif en tête.
« Personne ne faisait de vin de glace ici, alors on s’est dit qu’on allait s’essayer »
Aujourd’hui, son vignoble produit quelque 4000 bouteilles par année de son vin de glace fait de vidal, un produit primé à l’international. Le millésime 2019 est d’ailleurs le seul vin canadien cité dans le prestigieux top 50 2021 de Sélections mondiales des vins Canada.
L’histoire se répète au Domaine des Salamandres, aussi situé en Montérégie, où est produit un vin de glace doublement médaillé d’or au Concours international de vins et spiritueux de Finger Lakes. Sylvain Haut s’est établi du côté de Hemmingford au début des années 2000 avec l’espoir de faire son propre vin de glace. « À l’époque, je travaillais dans une cidrerie, mais la vigne m’avait toujours attiré », explique celui qui propose en outre un poiré de glace. « Et puisqu’on est au Québec, j’avais envie de profiter du froid naturel. »
Un vin né du froid
Au total, une dizaine de vignobles produisent aujourd’hui des vins de glace certifiés dans la Belle Province. Et ce n’est pas un hasard si le Canada —l’Ontario, la Colombie-Britannique et le Québec en tête — est devenu le premier producteur de vin de glace au monde, souligne la sommelière et consultante en œnotourisme Nadia Dufour. Ici, notre climat froid nous avantage puisque le vin de glace doit être obligatoirement issu de raisins vendangés gelés à une température de -8 °C ou moins, comme le veut la norme canadienne en la matière sur laquelle est basée l’IGP Vin de glace du Québec.
« Au Québec, on ne peut pas faire du vin de glace comme on veut, poursuit Nadia Dufour. Il est entre autres interdit d’ajouter du sucre ou de l’alcool, de même que d’utiliser le froid artificiel. » Les riches arômes de litchi, d’abricot ou de caramel beurré sont plutôt créés par la déshydratation naturelle des fruits (encore accrochés aux vignes ou alors déposés dans des filets au-dessus des plants). La concentration des sucres est ainsi maximisée sous l’effet du vent, du froid et des cycles de gel et dégel typiques au début de l’hiver.
« On ne vendange jamais avant le 10 décembre, indique Jean Joly. Il faut être patient parce que ça prend beaucoup de gels et de dégels successifs. Même s’il fait -8 demain matin, les raisins ne seront pas encore prêts. Et pour savoir si c’est le bon moment, je goûte! »
Au Domaine des Salamandres, Sylvain Haut a pris l’habitude d’attendre jusqu’à la fin du mois de décembre, voire jusqu’au début de janvier, pour récolter ses raisins. « Pour moi, le seuil du -8 °C est vraiment un minimum, car le raisin dégèle rapidement quand c’est ensoleillé. J’aime bien ramasser mes raisins à -18 ou -20, puis les presser dans les jours qui suivent. »
Ce procédé demande une bonne dose de patience et de dévouement, estime Nadia Dufour. « [Les raisins sont tellement gelés] que le pressurage des raisins gelés prend des heures et des heures, goutte par goutte. Pour illustrer, on dit souvent qu’une vigne produit une bouteille de vin, mais qu’un seul verre de vin de glace est obtenu avec la même quantité de raisins. »
Vidal, le cépage roi
Le secret du succès des vins de glace du Québec tient également au cépage choisi. S’il est permis de fabriquer des vins de glace à partir de nombreuses variétés nobles ou rustiques (riesling, gewurztraminer, frontenac gris ou blanc, et cabernet franc ou maréchal foch pour les rouges), la plus populaire demeure, et de loin, le vidal. « C’est un raisin extrêmement bien adapté à une longue maturation aux champs à cause de sa peau épaisse qui protège les baies durant le processus. Et il est moins sujet aux maladies, résume la sommelière. En plus — et c’est capital —, le vidal est doté d’une bonne acidité, ce qui crée un équilibre extraordinaire avec le côté sucré du vin de glace. »
« Quand on va en France, on nous sert toujours un sauternes avec le foie gras. On doit développer les mêmes réflexes avec notre vin de glace. »
Résultat? « Un vin très aromatique et complexe, aussi somptueux et liquoreux qu’un grand sauternes, qui se marie aussi bien avec du foie gras que des fromages ou une tarte à l’abricot », se targue Jean Joly.
En 2021, le fruit est donc plus que mûr pour que le vin de glace du Québec devienne une fierté nationale, espère Nadia Dufour. « Quand on va en France, on nous sert toujours un sauternes avec le foie gras. On doit développer les mêmes réflexes avec notre vin de glace.